En première ligne dans la gestion de la crise entre l’Algérie et la France, Bruno Retailleau est écarté pour la nouvelle phase qui est la relance de la relation franco-algérienne.
Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot est attendu ce dimanche 6 avril à Alger. Le déplacement du chef de la diplomatie française devrait acter le début d’un retour à la normale entre la France et l’Algérie après huit mois d’une crise inédite.
Il a été décidé lors de l’appel téléphonique entre les présidents algérien Abdelmadjid Tebboune et français Emmanuel Macron lundi 31 mars qui a mis fin à huit mois de crise.
La visite et ses résultats attendus revêtent des enjeux importants pour l’avenir de la relation bilatérale mais aussi pour l’évolution de la scène politique intérieure en France.
Alors que le nœud gordien de la crise semblait être la question des OQTF et des laissez-passer consulaires, ce n’est pas le ministre directement concerné, celui de l’Intérieur, qui est envoyé à Alger mais son collègue des Affaires étrangères.
La mise à l’écart de Bruno Retailleau du dossier Algérie était perceptible depuis qu’il a été désavoué publiquement par le président Emmanuel Macron à deux reprises, fin février et début mars derniers.
Le ministre de l’Intérieur a beaucoup surfé ces derniers mois sur le sentiment anti-algérien de l’électorat de droite et d’extrême droite. Retailleau brigue la présidence des Républicains qui pourrait lui permettre de se présenter en candidat de l’union des droites à la présidentielle de 2027.
Le rapprochement surprise décidé par les présidents Tebboune et Macron le 31 mars est tombé comme un cheveu sur la soupe pour l’agenda politique du ministre de l’Intérieur. Il a coïncidé avec le lancement, le 2 avril, de la campagne pour le congrès des Républicains.
Le ministre de l’Intérieur n’a pas pu contraindre l’Algérie à libérer l’écrivain Boualem Sansal, pas plus qu’il ne lui a imposé d’accepter les influenceurs et la liste d’individus « dangereux » expulsables.
Peut-être que sa méthode de « riposte graduée » a pesé dans la recherche d’une solution de sortie crise pour éviter aux relations entre les deux pays de sombrer dans le chaos, mais il n’a rien obtenu d’Alger qui ne marche pas aux menaces et aux injonctions, surtout quand elles viennent de l’ancienne puissance coloniale.
« La relation franco-algérienne se réchauffe depuis que Bruno Retailleau a été écarté du dossier ! Il a été pyromane : il confond son congrès, la présidentielle et son rôle de ministre.Donc c’est bien qu’il se taise et laisse faire le ministre des Affaires étrangères », a déclaré Marine Tondelier, la cheffe des écologistes.
Ça alors, la relation franco-algérienne se réchauffe depuis que Bruno Retailleau a été écarté du dossier !
Il a été pyromane : il confond son congrès, la présidentielle et son rôle de ministre.
Donc c’est bien qu’il se taise et laisse faire le ministre des Affaires étrangères. pic.twitter.com/EIm9M3o2hv
— Marine Tondelier (@marinetondelier) April 3, 2025
Bruno Retailleau était mis hors-jeu depuis que l’Algérie a signifié par la voix de son président qu’elle n’en veut pas comme interlocuteur. « Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays », a déclaré le président Tebboune début février au journal français L’Opinion.
La méthode du ministre de l’Intérieur n’a pas marché et les observateurs notent à juste titre que les choses ont commencé à se décanter lorsque le président Macron et sa diplomatie ont repris le dossier en main, comme l’ont souhaité les autorités algériennes.
Avant même le retour de Jean-Noël Barrot d’Alger avec très probablement quelques avancées, la mise à l’écart de Retailleau est saisie au vol par la concurrence au sein des Républicains.
Laurent Wauquiez, l’autre candidat à la présidence du parti, a accusé le gouvernement et avec lui le ministre de l’Intérieur, de « capituler » devant l’Algérie.
« Pendant quelques semaines, on nous a amusés en faisant semblant de dire qu’on allait faire un rapport de force avec l’Algérie », a-t-il chargé son rival, sans le citer.
Sans préjuger de ses résultats, la visite du chef de la diplomatie française à Alger est très ambitieuse. Jeudi, Barrot a convenu avec son homologue algérien Ahmed Attaf de mettre sur la table tous les dossiers épineux.
Il sera question de « la reprise sans délai de la coopération sécuritaire », de « réinitier immédiatement une coopération migratoire confiante, fluide et efficace », et de se pencher sur la poursuite des travaux de la commission mixte des historiens, a, entre autres, cité le même jour un porte-parole du Quai d’Orsay, ajoutant que « Boualem Sansal est un citoyen franco-algérien, et la France se préoccupe de ses citoyens et du sort de ses citoyens partout où ils sont dans le monde ».
Émanant d’une volonté partagée au plus haut sommet des deux États, il est plus que probable que les deux parties avancent sensiblement sur plusieurs dossiers dès ce dimanche.
Se posera alors la question de savoir quelle partie en France en tirera les dividendes politiques. À première vue, côté français, le mérite de la désescalade et du probable règlement des questions en suspens revient au président Macron qui a déchargé son ministre de l’Intérieur du dossier.
Mais, en pleine campagne au sein de son parti, Bruno Retailleau et son entourage ne lâchent pas et continuent à soutenir qu’il est « toujours dans le dossier » et que c’est sa posture de « fermeté » qui a amené cette décantation.
« Les signaux sont positifs (…) Dans une négociation, il faut à la fois de la fermeté et le dialogue, la diplomatie et la fermeté du ministère de l’Intérieur. (…) Si je n’avais pas été au gouvernement, je pense que cette ligne de fermeté peut-être n’aurait pas été suivie », a déclaré le ministre de l’Intérieur sur France 2, comme pour revendiquer déjà sa part de dividendes.
L’enjeu de l’issue de la crise est en effet colossal, et pas seulement pour l’avenir immédiat de Bruno Retailleau. Les deux présidents ont compris que ni l’Algérie ni la France n’ont intérêt à faire le jeu de l’extrême-droite qui utilise le sujet Algérie comme carburant dans son ascension en prévision de 2027. Mais attention : en cas d’échec de la réconciliation entre les deux pays, Bruno Retailleau est embuscade.